Initiation et Chemin initiatique
« L’inaccessible, ajouté à l’inexplicable, tel est le Ciel. De cette contemplation se dégage un phénomène subtil : le grandissement de l’âme par la stupeur. L’effroi sacré est propre à l’homme ; la bête ignore cette crainte. L’intelligence trouve dans cette terreur auguste et son éclipse et sa preuve. […] Rien n’est vide, rien n’est muet, rien n’est blanc. L’infini n’a pas de marge, il est écrit de tous les côtés ». Il s’agit là, de deux extraits des Travailleurs de la mer, de Victor Hugo.
Le décor est planté ! Dès que l’homme a eu pris possession de son Territoire et de son environnement puis satisfait ses besoins de survie et de sécurité, il s’est mis à réfléchir à ce qui se passait au-delà de son entendement immédiat, prenant conscience qu’il était dominé par des puissances qui échappaient à son contrôle. Pour se concilier leurs bonnes grâces, il s’inventa des divinités multiples avant que sa réflexion métaphysique n’aboutisse au monothéisme puis que ne se développent d’autres formes de spiritualité.
Tout à la fois mission et synthèse de l’existence humaine, Comprendre est un besoin de la nature humaine ; depuis l’origine des temps, l’homme n’a eu de cesse de s’interroger : La Lumière – Les Ténèbres, Le Bien – Le Mal, La Vie – La Mort, La place de l’homme dans le Cosmos…
Ce qui rend fou, c’est l’absence de sens aux choses. Pourtant a priori rien ne permet d’assurer que l’existence ait bien un sens. Proclamer que la vie a un sens est un prédicat de la recherche de la Vérité qui nécessite une fois qu’il a été affirmé, qu’on en démontre le bien fondé. Le pouvons- nous d’ailleurs ? Deux philosophes célèbres s’y sont essayés. Blaise Pascal qui lui, parie pour le sens de la vie mais bizarrement le reporte dans un au-delà de la mort. Il préempte cet au-delà comme hypothèse sans pouvoir le valider. Le second, Albert Camus pose aussi la question de la vie sous forme de dilemme : Ou la vie à un sens ou la vie n’en a pas et alors elle est absurde. Camus lui fait le choix du sens mais l’associe à la Foi. Notre démarche maçonnique, réfractaire à toute vérité imposée ne promet pas à ses membres d’assurer leur salut éternel : ce n’est en rien une religion, encore moins un ensemble de dogmes. Au contraire, elle propose aux Frères de créer eux-mêmes un sens aux choses grâce à la réflexion, à l’investigation, au travail personnel. C’est par la notion de « libre examen » ; c’est à dire par la mise en œuvre du « sens critique, « du doute intellectuel » qui examine et vérifie toute information, connaissance ou certitude que le franc-maçon trouve les réponses aux questions qui se posent à lui et chemine pas à pas vers la Vérité, sa Vérité.
Si nous nous situons non pas dans la perspective d’un au-delà incertain mais dans la certitude d’un ici et maintenant que nous vivons, ce n’est ni la vie ni le monde qui a du sens (ou pas) ; mais la conception que l’on a de la vie ou du monde qui fait sens (ou pas). Dès lors, la question devient : Quel sens donner à ma vie ? Qu’est-ce qui la guide ?
Pour celui qui a choisi de suivre un parcours initiatique, tout ce questionnement est au cœur de sa démarche ; le commencement d’une vie nouvelle.
Nous sommes tous encore souvent, au fond de cette caverne, enchaînés par la vie, par le quotidien, par les doctrines, par les dogmes. Il nous faut essayer de briser nos chaînes et à un moment donné, sortir de cette caverne pour monter peu à peu vers la Lumière. Pas cette Lumière aveuglante qui peut vous rendre aveugle pour la vie, NON ! La Lumière qui éclaire ! Nous n’avons, nous, Francs-maçons, aucune vision messianique d’une Lumière qui brillerait et s’imposerait à nous !
L’Initiation est donc le commencement d’un long processus de transformation, certains disent d’une révélation, du passage d’un état inférieur de l’être à un éveil de la conscience. C’est pas à pas, lentement, très lentement, que nous cheminons vers cette Lumière comme moyen d’abord de nous élever nous- même puis d’éclairer le Monde. Mais avant d’avoir une vision métaphysique, avant d’avoir une vision du Monde, avant d’avoir une vision sur l’origine de l’Homme et du Monde, il faut d’abord rentrer en soi et c’est en se mieux connaissant soi-même que nous pouvons peut être, par cette confrontation à l’autre, par cette confrontation avec nous-mêmes, essayer de comprendre que nous sommes simplement de passage et d’aller chercher au fond de notre cœur, une autre approche des choses pour construire avec sérénité cette « citadelle intérieure » que nous, Francs-maçons, appelons « le Temple intérieur ».
Fondée sur le symbolisme, cette démarche initiatique qui s’adresse à l’être humain pris dans sa globalité, n’est pas solitaire mais solidaire. Elle s’appuie sur un cérémonial et une dramaturgie qui nous révèlent tout, ou à peu près tout, dès le premier degré. Seulement nous mettrons toute une vie pour le comprendre.
Comment parler de ce chemin intérieur alors que ce sont nos propres traces qui font ce chemin, rien d’autre ? Comment écrire sur le chemin initiatique, alors que nous sommes de tradition orale et que nous prenons bien soin d’en effacer rituellement les balises, dès lors que le travail en Loge est fini ?
La voie que nous offre l’Art Royal, nous conduit au plus profond de nous -même : Le cabinet de réflexion, VITRIOL, la Perpendiculaire, la purification par les 4 éléments, La Porte Basse, Le Miroir, Le Pavé Mosaïque, …toute la symbolique de l’Apprenti nous y conduit.
Tout au long de notre chemin initiatique, le travail à accomplir sera intérieur et la pierre cachée pourrait bien en être l’endroit d’où nous pourrions le mieux, percevoir l’univers et sentir tout ce qui nous entoure. Chaque dépouillement, chaque étape sur notre chemin fera tomber un voile qui masquait un aspect de soi, une perception de l’univers. Et nous sommes au cœur du voyage, spéléologues de notre inconscient.
Travailler sur soi, c’est attester de soi, de nous, de notre propre expérience sur le chemin que nous sommes seuls à faire, à pouvoir découvrir et parcourir.
A l’instar d’Ulysse et de ses compagnons, me rappelait régulièrement mon Second Surveillant, l’Initié entreprend un long voyage semé d’embûches et d’écueils. Au début la mer est houleuse, la nuit sombre, son âme est des plus métalliques et instable comme le mercure ; le sel et le souffre prennent à la gorge … En passant de la perpendiculaire au niveau et guidé par son Etoile, le voyage de l’initié devient progressivement plus paisible, pour peu qu’il continue à travailler et qu’il soit présent en Loge. De ce voyage entre terre et ciel, apprendre à se connaître soi-même, à vivre avec d’autres hommes, se fondre dans la multitude et faire progresser cette multitude par son propre progrès, telle doit être son île d’Ithaque !
De chaque pierre taillée puis posée, il ne reste de trace qu’en nous et dans le cœur et l’esprit des Frères présents.
Engagés dans la voie de l’initiation, il nous faut, Francs-maçons, la parcourir jusqu’au bout de notre possible. La voie maçonnique est à la fois source d’inquiétudes et de joies, source de solitude et de partage et ne connaît aucune limite dans la recherche de la Vérité et de l’avènement d’une humanité apaisée et plus sereine ; chacun à sa juste place :
L’ Apprenti, dans le silence, dégrossit la pierre brute ; assurément une étape capitale pour lui permettre de devenir une pièce de l’Edifice.
-Le Compagnon, en éveil, entre l’Equerre et le Compas, est armé pour accomplir l’œuvre que l’on attend de lui, la construction du Temple … de son Temple.
-Le Maître, qui a découvert l’importance de l’acacia et à qui, il reste la vie entière, accompagne et guide les plus jeunes.
Pourtant, dans ce périple intérieur à la recherche de nous-même, de l’acquisition de notre vraie liberté, devons-nous pour autant rester autiste et macérer sur notre Colonne ?
Bien évidemment non ! Comment mieux apprendre à se connaître soi-même que par l’action ! C’est au dehors que nous devons achever l’œuvre commencée dans le Temple. Notre état d’initié, de fils de la Lumière, nous fait un devoir de travailler au progrès matériel et intellectuel de l’humanité. C’est à mon sens cet engagement qui est la jauge de notre avancement personnel.
C’est ce qui nous conduit à œuvrer chacun dans notre univers et à rayonner à l’extérieur du Temple au service de la collectivité, avec tolérance et bienveillance.
N’oublions pas que par-delà nos différences, nous partageons un même ensemble de valeurs.
Des valeurs :
- qui nous font intégrer que nul d’entre nous ne détient la vérité. Nous en détenons tous des parcelles qui nous enrichissent les uns les autres et qui se complètent. Assumons notre passé comme la source alimentant notre être en nous défaisant des pesanteurs inutiles, comme autant d’obstacles à notre développement personnel.
-qui nous font comprendre que l’homme est la mesure de tout… et rien de ce qui le concerne ne saurait nous être étranger. Vivons pleinement le présent en diffusant l’amour et la compréhension de l’autre en évitant de nous égarer sur des chemins qui ne mènent nulle part sinon à nous essouffler et à limiter ce que nous sommes. La vie n’a pas de sens si l’on n’aime pas, si l’on n’est pas aimé.
-qui nous font nous rappeler que nous avons reçu le fruit du travail de ceux qui nous ont précédés dans la grande chaîne de l’humanité ; nous devons le bonifier pour, à notre tour, le transmettre à ceux qui nous suivront.
Pour ma part, je ne saurai qu’au moment ultime, si ma vie avait un véritable sens, Mais mon véritable voyage, comme vous, ce n’est pas d’aller vers de nouveaux paysages mais d’appréhender l’univers et les hommes avec d’autres yeux ! Tout le reste n’est qu’illusion et théâtre de la vie.
Travaillons à un avenir meilleur !
J’ai dit.