1848 - 1870 Révolution et 2e République
L'immobilisme politique est confronté à l'évolution rapide de la société et à la montée d'idées nouvelles. Une bourgeoisie d'affaires moderne et libérale réclame un régime parlementaire pour accéder au pouvoir et revendique des libertés publiques fondamentales : suffrage universel, liberté de la presse, liberté de réunion. On observe la montée de mouvements d'aspiration nationales en Allemagne, Italie, Hongrie, Pologne, Serbie, Grèce, ainsi que la naissance et le début de l'organisation du mouvement ouvrier. Tous ces éléments font de cette période une clef essentielle de l'évolution de l'histoire de l'Europe, du XIXe siècle à nos jours.
En janvier 1848, la misère s'installe à la suite d'une grave crise économique. A Caen, les manifestations de charité se multiplient et l'oeuvre de bienfaisance nouvellement créée par la loge Thémis annonce qu'elle servira tous les soirs une soupe populaire à l'entrée des ses locaux rue Neuve Saint-Jean.
En Février, à Paris, une insurrection balaye la royauté pratiquement sans violence, la Garde nationale s'allie avec les insurgés. Le roi s'enfuit, personne ne cherche ni à le pourchasser ni à le retenir. Un gouvernement provisoire s'installe ; la République est proclamée. On chante et on défile dans les rues sans aucune violence, la République est acceptée. A Paris comme à Caen l'unanimité se fait autour des mots : Morale, Probité, Liberté, Egalité, Fraternité, Travail.
A Paris, le gouvernement provisoire proclame la liberté de conscience, la liberté de réunion, la liberté de la presse, l'abolition de l'esclavage, le droit au travail. De nombreux maçons figurent dans le gouvernement provisoire
- Crémieux : ministre de la justice (Bienfait anonyme de Nimes)
- Garnier-Pagès : ministre des finances (Amis de la Vérité)
- Flocon : ministre de la guerre. (L'Union des Peuples)
- Pagnerre secrétaire général du gouvernement (Les Amis de la Vérité)
- Bethmont ministre des cultes.
- Schoelcher : sous secrétaire d'état à la marine en fait ministre des colonies, artisan de la suppression de l'esclavage.
- Carnot, à l'instruction publique
- Trélat aux travaux publics
- Marrast : membre du gouvernement (Amis de la Vérité ?)
- Dupont de l'Eure, président du gouvernement provisoire aurait fréquenté les loges d'Evreux et d'Elbeuf
- Louis Blanc, ne sera initié que plus tard, en exil.
Le 4 mars, le sénat maçonnique ouvre ses travaux par une batterie de deuil à la mémoire des héros de la Révolution et vote une souscription de 500F pour les familles des frères martyrs de la Révolution, (acte plus symbolique que ruineux, seuls 2 maçons ont été tués au cours des combats de rue).
Le ralliement des Maçons à la République
Le 6 mars, Schoelcher accueille à l'hôtel de Ville une députation du Grand Orient de France, qui, revêtue de cordons maçonniques, se rend auprès du gouvernement provisoire pour lui remettre une adresse d'adhésion au grand mouvement national et social qui vient de s'opérer et promet le concours des 40 000 maçons, réunis dans 500 loges, pour achever heureusement l'oeuvre de régénération si glorieusement commencée (en réalité le nombre de 40 000 serait exagéré, il n'aurait été en réalité que de 12 000 dans 350 loges).
Le G.O. publie une circulaire aux loges pour témoigner de son adhésion à "La République une et indivisible" Les frères sont certes invités à ne pas introduire dans le temple des discussions brûlantes mais à traiter des hautes questions sociales inhérentes au bonheur de tous avec sagesse et maturité et à travailler sans passion à la félicité commune.
Le ralliement à la République est bruyant et rapide, il correspond aux voeux de la base. Est il toujours sincère de la part d'anciens Orléanistes qui deviendront aussi vite partisans de Louis Napoléon Bonaparte ?
Pour la première fois, le droit pour les loges d'aborder les questions sociales, en évitant les discussions partisanes, est reconnu et même recommandé.
A Caen, comme partout en France, on débaptise et on remanie à tours de bras : Ce qui était "Royal" devient "National", la place, les messageries, le lycée, Le Haro "Journal Normand" devient "Journal Républicain". Préfet, conseillers municipaux, procureurs sont remplacés. Hippolyte Carnot, ministre de l'instruction publique, prépare un projet de loi sur l'instruction primaire gratuite et obligatoire. La fièvre républicaine gagne toutes les couches de la population.
En mars et avril, on prépare les élections pour le 22 avril. A Paris comme à Caen, des clubs naissent où les candidats viennent exposer leur programme et recevoir une sorte de validation politique ; parmi eux, le club de l'Union et celui de la Fraternité, qui se donne pour but " l'amélioration de la condition morale politique et matérielle de tous". celui de l'Union regroupe les anciens royalistes de Caen.
Les professions de foi, affiches, médailles utilisent le même vocabulaire : Liberté, Egalité, Fraternité viennent en tête, Beaucoup d'affiches et tracts républicains préfèrent le qualificatif de "Frère" à celui de citoyen.
"La Franc-maçonnerie, essentiellement républicaine, en répandant ses principes démocratiques dans toutes les classes de la société, a puissamment contribué à l'heureuse Révolution qui, en détruisant le despotisme monarchique, vient de proclamer en France le gouvernement républicain. La République est dans la maçonnerie et les maçons doivent unir leurs efforts aux efforts de la nation pour assurer à jamais le triomphe de ces dogmes divins Liberté, Egalité, Fraternité et la stabilité des institutions républicaines. Elle appelle les francs-maçons à examiner les professions de foi des candidats et accorder la plus grande attention à leurs qualités de patriotisme, probité et capacité."
Appel aux Maçons affiché à Paris
(Les signataires de cet appel se rallieront tous à Bonaparte !)
Le tournant de mai juin
En mai des manifestations ouvrière sont réprimées, la crise financière persiste comme le chômage, les impôts augmentent. L'émeute éclate à Paris, avec des slogans de désespoir : "La liberté ou la mort", " du pain ou du plomb" ! Paris se couvre de barricades, l'armée emploie le canon et rétablit l'ordre en 3 jours au prix de 2 000 morts, 10 000 blessés. Paris n'a jamais connu une insurrection aussi meurtrière, la répression est terrible, manifestants pourchassés, exécutés, déportés.
La République humaniste fait place à la République meurtrière, une dictature républicaine s'installe avec, à sa tête, le général Cavaignac qui obtient les pleins pouvoirs.
« Les gouvernants de la République de février se retirent, les mains pures, la tête haute, sans une tache d'or sans une tache de sang. »
(Garnier-Pagès)
Les discours sur la fraternité universelle paraissent dérisoires : les maçons deviennent silencieux à la fois par souci d'apolitisme, pour faire taire les divergences ou par peur d'être accusés de partialité. Les sociétés secrètes sont interdites, la Franc-Maçonnerie y échappe en se présentant non pas comme une société secrète mais comme une société ayant des secrets.
Les élections présidentielles
Aux présidentielles de décembre, Louis-Napoléon est élu contre toute attente, à une écrasante majorité. La porte est ouverte au Second Empire.
A Caen les manifestations de charité reprennent, les Francs-Maçons préparent leur soupe pour les ouvriers toujours sans travail. Après avoir applaudi comme tout le monde à la République de Février où quelques maçons ont tenu une place prépondérante. Le Grand-Orient se fait très discret et s'éloigne de la politique, la déconvenue est très grande.